Ce qui ne manqua pas de frapper Hervé c’est l’immense densité de la littérature antillaise. Si Patrick Chamoiseau est devenu célèbre pour son prix Goncourt avec son roman « Texaco » une fresque sur son île dont le titre est inspiré d’un des quartiers les plus déshérité de l’île, dont Hervé avait une vision quotidienne du Lycée Schœlcher de ses baraques accrochées à la colline où vivait une population, certes pittoresque , mais privée de tout sauf de joie de vivre, d’autres écrivains de la même époque méritent d’être connus dont le rebelle Raphael Confiant dont la langue est étincelante. Dans l’inculture qui se généralise qui sait que les Antilles comptent deux prix Nobel de littérature : Derek Alton Walcott en 1992 et Saint John Perse en 1960. Ces prix Nobel ne sont que l’écume de l’extraordinaire qualité de la littérature antillaise!
Ce qui frappe dans ces littérateurs antillais c’est le retournement de la langue du colonisateur au profit des revendications libertaires et identitaires des îliens.
C’est aussi la revendication de cette identité créole qui créa un schisme avec les fervents défenseurs de la Négritude chère à Aimé Césaire !
Car les Antilles c’est une terre de métissage que l’on ressent à tout moment et Hervé était noyé dans cette ambiance où le camaïeu de teintes était étalé dans tous les villages. Hervé se souvenait des visites de sa mère au Marché Poissons où les injures étaient une sorte de négociation ou au marché de Fort de France où l’expression « doudou » n’était pas forcément amicale ! Et puis il y avait cette fameuse rue des Syriens où les bazars tenus per ces moyens orientaux ou leurs descendants étaient des mines d’or où le marchandage de sa mère faisait merveille. Dans sa commune du Marin deux « syriens » ont fait fortune dans le démarchage à domicile.
Toutes ces histoires étaient inscrites dans le cerveau de plus en plus malade d’Hervé qui n’arrivait quasiment plus à se lever. Il n’avait plus un os, plus un muscle qui restait exempt de douleurs. Il ne voulait plus aller à l’Hôpital où il ressentait plus fortement sa solitude. Les morphiniques arrivaient encore à le transporter dans ces cités réputées qu’il n’avait pu visiter. Istanbul, dont il avait raté la visite à cause d’un attentat survenu la veille de son départ et puis ces pays d’orient qui lui semblaient proches de sa sensibilité. Connaitre le monde, connaitre les gens, se connaitre soi même il avait envisagé toutes ces aventures quand il avait acheté son bateau pour faire le tour du monde ! La vie en a décidé autrement et maintenant qu’il était enchainé par sa maladie, il naviguait dans les éthers qui lui offraient des mondes inconnus mais tout aussi grandioses. Il ne se plaignait guère, sinon du froid qui le saisissait dans des accès brutaux de frissons interminables. Pour essayer de les surmonter il se remémorait son ami Pierrot Guerrier, mort aujourd’hui du diabète, avec lequel il s’était fabriqué sa culture cinématographique et musicale. Dans les poulaillers de la Comédie, à Montpellier, il s’efforçait d’écouter les musiques les plus variées pour en saisir la beauté et le sens. L’écriture musicale n’est comprise qu’après de longs efforts. Mais ils s’entêtèrent, et se payèrent même quelques places au parterre pour une écoute plus précise. Pierrot était un homme de culture dont la lecture fut, toute sa vie, son occupation favorite. Cet homme eut mérité une vie plus heureuse et plus agréable. Il est mort dans une solitude sordide, amputé d’une jambe et abandonné par son épouse et son enfant. Hervé, dans son exil ne prit connaissance de sa mort que des mois plus tard!